Les Aventures de Rouletabille

| 5. Athanase Khetev

 
« Oui, trop tard, Athanase Khetev ! » répéta le général.
 
Et lui montrant les cadavres de ses soldats :
 
« Gaulow a passé par là ! »
 
Athanase Khetev pâlit encore davantage, s’il était possible, et prononça un nom, en s’appuyant à la grille.
 
« Ivana ?
 
– Ils ont tué mon vieux camarade ! dit le général sans prendre aucune précaution pour la douleur de ce « membre de la famille », et ils ont enlevé sa nièce. Tâchez de nous la retrouver, Athanase Khetev, car je la considère maintenant comme ma fille ! mais si vous nous aviez débarrassé de Gaulow, tout ceci ne serait pas arrivé. »
 
Et il passa, suivi de son escorte.
 
Des agents arrivaient et transportaient les corps des sentinelles dans la loge ; la police commençait son œuvre, défendant l’entrée du jardin contre la curiosité de la foule.
 
L’ordre était de ne donner d’abord aucune explication ; plus tard on expliquerait l’événement par un vulgaire cambriolage, suivi d’assassinat.
 
« Fait divers, fait divers ! » avait déjà dit le général à ses officiers d’ordonnance.
 
L’homme qui était descendu de l’auto était resté contre la grille, comme assommé par les paroles de Stanislawof.
 
Sa figure n’était point médiocre.
 
C’était un rude personnage : jeune, dans les trente ans, maigre, musculeux, la poitrine creuse, les mains puissantes. Les traits de son visage étaient accusés, le nez bossu, les cheveux dressés, d’une nuance bleu noir ; un front de moyenne élévation, des yeux petits, enfoncés ; en ce moment, son regard semblait mort sous les sourcils touffus. Ses lèvres étaient minces, dures et trop nettement dessinées. Il était habillé d’un vêtement civil boutonné jusqu’au col.
 
Rouletabille lui prit la main en l’appelant par son nom.
 
Le reporter reconnaissait cet homme. Ivana le lui avait présenté à Paris, à l’hôpital de la Pitié. Il avait passé, là-bas, en France, quelques jours seulement, ne semblant y être venu que pour annoncer à Ivana la mort de sa sœur. Et Rouletabille se rappelait ce qu’Ivana avait dit de ce parent, après son départ… des choses très bulgares : qu’il avait été élevé par les soins du général Vilitchkov, car ses parents étaient morts tragiquement, comme tant d’autres. Son père était un riche négociant que ses affaires avaient retenu en Thrace, aux environs d’Andrinople. Quelques années après la naissance d’Athanase, sa mère avait disparu, on ne sut jamais comment. Un mois plus tard, on l’avait retrouvée près de Kadikerei, la gorge coupée. Le bruit avait couru que c’était un agha turc qui l’avait enlevée et assassinée. Son mari, le père d’Athanase, voulut se venger, mais il n’était arrivé qu’à blesser l’agha à coups de poignard. Il dut s’enfuir, abandonner sa maison et son fils ; mais agité d’une haine mortelle contre le Turc, il était resté cependant en Thrace, s’efforçant de soulever l’élément bulgare. Trahi, il avait été surpris dans le Balkan et fusillé.
 
Le général Vilitchkov était parent, par sa femme, de Khetev. Il fit venir l’enfant et le fit élever. C’est dire qu’Athanase, qui avait déjà toutes ses haines personnelles, prit, par surcroît, à sa charge, et hautement, celles de la famille Vilitchkov. Ivana l’avait dépeint comme un excellent garçon « quand on le connaissait, un peu sombre, brute et sournois d’apparence, mais brave au-dessus de tout… Pour moi, il a toujours été parfait, disait-elle. Athanase avait huit ans quand je suis née. Il m’a protégée, aimée comme un frère. »
 
Rouletabille répéta :
 
« Athanase Khetev ! »
 
L’autre fixait toujours la terre de ses yeux sans regard. L’entendait-il ? En tout cas, il ne le reconnaissait point.
 
Or, Rouletabille était pressé. Il insista.
 
« Monsieur, dit le reporter, il faut reprendre vos sens. Je sais quelle perte vous avez faite dans la personne du général, mais nous ne devons pas rester une minute de plus ici si nous voulons garder quelque espoir de retrouver sa nièce. »
 
Ces paroles semblèrent produire l’effet attendu. Athanase leva les yeux sur le reporter.
 
« Vous ne me reconnaissez pas ? La nièce du général m’a présenté à vous, à Paris… Joseph Rouletabille…
 
– Oui, fit l’autre, comme sortant d’un rêve… je me rappelle…
 
– Eh bien, en route !… »
 
Brusquement Athanase Khetev revint à la réalité des choses et aux nécessités de l’heure.
 
« Oui, en route ! s’écria-t-il en courant à sa machine… En route !… Ont-ils beaucoup d’avance ?
 
– Une demi-heure, trois quarts d’heure au plus.
 
– Ah ! s’écria Athanase, nous les rattraperons si Dieu le veut ! »
 
Et il mit son moteur en marche, d’un geste qui eût pu tout briser. Puis il sauta dans la voiture. Le reporter était déjà à sa place à côté d’Athanase, qui conduisait lui-même. Il lui montrait la direction opposée à celle du chemin par lequel il était arrivé, du côté de la mosquée de Brandja-Bachi. Et Athanase, secouant sa tête hirsute et nue, car il avait perdu sa casquette, s’en étonnait.
 
« Par là ? Pourquoi par là ! Êtes-vous sûr qu’ils sont partis par là ?
 
– Oui, j’ai examiné le peu de traces qu’ils ont laissées sur des pavés de faïence ; mais, même sans traces, ils auraient certainement pris par là.
 
– Pourquoi ?
 
– Parce que vous vous en étonnez ! Leur intérêt n’était-il point de prendre le chemin le plus inattendu ?
 
– Mais leur intérêt est de regagner la frontière turque le plus tôt possible !…
 
– Le plus sûrement possible.
 
– Mais nous nous en éloignons.
 
– Vous en revenez, de la frontière turque. Il n’y a pas tant de chemins pour les autos dans votre pays ! Vous ne les avez pas rencontrés, n’est-ce pas ?… C’est donc que s’ils sont venus par là… ils sont retournés par ailleurs, expliqua avec volubilité le reporter impatienté. En route, monsieur, en route ! »
 
La voiture bondit… Ils firent le tour du palais royal, prirent par la rue Tergouska…
 
« Passez par le pont des Lions ! commanda le reporter…
 
– Pourquoi ?
 
– Je vous le dirai tout à l’heure… »
 
La voiture remonta d’un élan l’avenue de la Princesse-Marie-Louise. Quand ils arrivèrent sur le quai Bojana, au coin du pont des Lions et du boulevard Silvnitza, le reporter fit stopper.
 
Athanase ne comprenait pas. Rouletabille lui montra un garage-magasin dont les portes étaient entrouvertes.
 
« Parce que vous devez avoir besoin d’essence.
 
– C’est vrai !…
 
– Et qu’eux aussi ont dû avoir besoin d’essence. »
 
Et comme l’autre restait sur son siège, comme ébloui par l’éclat de l’idée de Rouletabille, le reporter lui cria :
 
« Eh bien, descendez, monsieur Athanase, je ne sais pas parler bulgare, moi ! »
 
Athanase descendit. Sur les indications de Rouletabille, pendant qu’il se réapprovisionnait d’essence, il questionna les employés, et la joie des jeunes hommes fut grande quand ils eurent appris que, trois quarts d’heure au plus avant eux, une limousine, dans laquelle se trouvaient des officiers et une femme, avait stoppé devant le magasin et s’était, comme l’avait prévu le reporter, ravitaillée d’essence.
 
Les employés donnèrent toutes les explications qu’on voulut bien leur demander, fournissant même un très grand luxe de détails ; la jeune femme – il leur avait été facile de voir que c’était une jeune femme car elle était nu-tête et à moitié enveloppée dans une capote d’officier, – ne se cachait nullement. Elle était très pâle et paraissait malade, mais point agitée. Elle regardait les choses de la rue, vaguement, à travers les carreaux.
 
Les officiers avaient paru très pressés.
 
L’officier conducteur ayant retiré l’un de ses gants pour mettre son moteur en marche, un employé avait aperçu une main toute rouge de sang. L’employé avait demandé à l’officier s’il ne s’était point blessé ; l’officier lui avait répondu qu’il s’était blessé, en effet, en mettant sa machine en marche : un retour de manivelle…
 
Surla route à suivre, ces curieux voyageurs avaient demandé quelques renseignements. Ils voulaient arriver par le plus court chemin à Monasteritche et les employés leur avaient tracé l’itinéraire : traverser le pont, toute la partie nord de l’avenue Marie-Louise, remonterun peu le boulevard Ferdinand Ier, passer devant la gare et rejoindre la grand-route. Là ils n’avaient plus qu’à courir tout droit.
 
Cependant voilà qu’Athanase, maintenant, retombait dans le doute.
 
« Si c’étaient eux, dit-il à Rouletabille, ils n’auraient pas laissé à Ivana la liberté de regarder à la portière, ou Ivana aurait certainement appelé, crié à l’aide…
 
– Non ! répliqua Rouletabille, elle n’aurait pas appelé, elle n’aurait rien crié du tout.
 
– Pourquoi ?
 
– Je vous dirai ça plus tard, quand nous aurons le temps. Demandez à l’employé s’il y avait des malles, des coffres sur cette limousine. »
 
L’employé répondit qu’il n’avait remarqué aucune malle, aucun coffre…
 
« Demandez-lui si, avant cette limousine, il n’avait pas vu une autre auto avec d’autres officiers. »
 
L’employé répondit qu’en effet une torpédo avait précédé la limousine d’une vingtaine de minutes, qu’elle était montée également par des officiers, et qu’elle était partie presque aussitôt, à toute allure, après que l’officier qui conduisait eut demandé les mêmes renseignements que l’on devait fournir, par la suite, à ceux de la limousine.
 
De toute évidence, pensaient les employés, les deux voitures allaient au même endroit et poursuivaient le même but.
 
Aussitôt que l’un des garçons eut prononcé le mot torpédo, Athanase, cette fois, s’était écrié : « Ce sont eux ! », et sa figure, alors si sombre, immédiatement s’était éclairée : « Ce sont eux, j’en suis sûr ! »
 
Depuis la frontière turque, Athanase poursuivait une limousine et une torpédo montées par des officiers qu’il savait être de faux officiers, et parmi lesquels il était sûr que se trouvait Gaulow. Il bondit sur son siège.
 
Le garçon de magasin mettait déjà le moteur en marche. Rouletabille l’arrêta pour lui faire demander encore si, dans cette torpédo, il y avait des malles, des coffres.
 
L’employé répondit que la voiture était pleine, par-derrière, d’un amas de colis.
 
« N’avait-il point vu, parmi ces colis, une espèce de coffre peint de couleurs vives et tout clouté de cuivre. »
 
Oui, il l’avait vu !
 
Rouletabille cria :
 
« En marche ! »
 
Ils repartirent.
 
« Ce sont eux ! Ce sont eux ! ne cessait de répéter Athanase ; mais pourquoi, demanda-t-il au reporter, perdez-vous votre temps à vous occuper des malles ! Qu’est-ce que peut bien nous faire votre coffre clouté de cuivre ?
 
– Monsieur Athanase, il ne faut négliger aucun détail. S’il est démontré que ces gens emportent avec eux les coffres qui ont été volés chez le général, il est démontré du même coup que ce sont bien les mêmes que ceux que nous cherchons.
 
– Croyez-vous, exprima encore Athanase, que nous en avons une chance que ces bandits se soient arrêtés à ce magasin !
 
– Et que nous nous y soyons arrêtés nous-mêmes ! corrigea Rouletabille.
 
– Maintenant, nous n’avons qu’à courir derrière eux.
 
– Oui, fit le reporter pensif, oui, oui, oui, monsieur Athanase… c’est bien ! c’est beau ! c’est même trop beau ! Ils auraient bien pu au moins cacher le coffre ! dites-moi, ce Gaulow est très… très fort ?…
 
– S’il est fort ! Je poursuis Gaulow depuis dix ans, fit la voix sourde d’Athanase. Mais j’ai enfin découvert sa retraite ! Hélas ! il venait, dans le moment même de la quitter ; oui, il n’était plus dans son Château Noir, un vrai repaire qu’il a là-bas au fond des montagnes et où il vit en roi. Je l’ai encore manqué de dix minutes à Kirk-Kilissé. Il avait pris le train pour Andrinople. Je sautai dans le train suivant. Quand j’arrivai à Andrinople, il avait quitté la ville depuis une heure avec ses compagnons, c’est-à-dire avec sa bande, et je venais d’apprendre que deux autos les attendaient au-delà de la frontière bulgare pour une mystérieuse entreprise dont je ne soupçonnais que trop le but abominable. Je résolus aussitôt de télégraphier, mais télégraphier comment ? Télégraphier quoi ? Dans cette période d’avant-guerre, me laisserait-on télégraphier en langage chiffré avec le général-major à Sofia ? Non. En « clair », que pouvais-je dire ? Qu’un danger le menaçait ? Je me serais fait arrêter comme espion et la dépêche ne serait pas partie. Ah ! j’ai passé, là des minutes que je n’oublierai de ma vie ! J’ai tenté quelque chose cependant : puisque toute dépêche, même la plus anodine, envoyée au général-major aurait été certainement l’objet d’un grand retard et de l’examen méfiant de la censure, je télégraphiai à un de mes amis d’aller avertir Ivana…
 
– Que vous aviez fait un mauvais rêve…
 
– C’est cela… et de ne point sortir de chez elle… Ah ! après un pareil avertissement, pourquoi ne s’est-elle point méfiée ?… Est-ce que le général n’aurait point dû prendre des précautions ?…
 
– Elle n’a pas voulu montrer cette dépêche au général…
 
– L’insensée !… Quant à moi, je ne perdis pas une minute… Je pris le train la nuit même à Andrinople et arrivai à la frontière bulgare, à Hermanli, où se trouve la douane, pour apprendre que les bandits étaient descendus du précédent train, en se faisant passer pour des patriotes de Thrace qui allaient s’engager à Sofia. On venait à peine de viser leurs passeports quand deux autos, dont on me fit la description la plus exacte, étaient venues les prendre et les avaient emportés sur la route de Philippopoli.
 
« Je fis réveiller le chef de la douane, je fis venir le chef de gare et leur déclarai à tous deux que ces gens étaient des espions turcs, et, qu’ils allaient à Sofia faire un mauvais coup et que nous devions tout tenter pour les faire arrêter en route, à tout prix.
 
« – Il n’y a qu’à télégraphier », dit le chef de gare.
 
« J’allai avec lui dans son bureau. Il sonna l’appel avec Philippopoli. On ne lui répondit pas : le fil était coupé.
 
« Je ne doutai point qu’ils eussent fait le coup.
 
« Et, cependant, je ne pouvais m’expliquer comment ils pouvaient craindre ma poursuite puisque j’étais persuadé qu’ils l’ignoraient. Mais le chef de gare dit tout à coup : « Attendez, nous avons reçu, ce soir, un télégramme d’Andrinople pour Siméon Tzankof ! »
 
« Je me récriai : c’était l’un des noms de guerre de Gaulow, celui certainement sous lequel il avait fait libeller son passeport !
 
« L’employé se rappela la rédaction du télégramme. Elle était brève : deux mots turcs : Dikat ète : « fais attention ! » Je me rappelai alors avoir rencontré sur le quai de la gare d’Andrinople un individu dont j’avais quelque raison de me méfier. Aussitôt que je l’avais aperçu, je m’étais dissimulé, mais trop tard sans doute. Gaulow sait que je le recherche depuis dix ans et il a tenté de se débarrasser de moi plusieurs fois avec le même acharnement que je mets à vouloir me débarrasser de lui… Mais nous verrons bien qui, finalement… »
 
– Continuez donc ! Continuez donc votre récit… interrompit Rouletabille.
 
– Dans mon malheur, j’ai eu cette chance de trouver cette auto qui était restée à la frontière parce que son propriétaire n’avait point les papiers qu’on lui demandait et qu’il était allé les chercher par le train à Tirnovo. Les autorités me laissèrent prendre l’auto, après leur avoir énoncé et prouvé mes qualités.
 
« Service d’état-major qui primait tout !
 
« J’étais tombé heureusement sur une bonne machine mais j’avais bien du retard !
 
« N’importe, je partis ! Je fis les cent premiers kilomètres assez rapidement malgré quelques petits accidents qui me mirent dans un état de désespoir que vous comprendrez facilement.
 
« À Philippopoli et, plus tard, à Tatar-Bajardjick, je recueillis des renseignements certains sur les deux autos qui étaient montées maintenant par des officiers !
 
« J’imaginai facilement que Gaulow et ses hommes avaient trouvé les costumes nécessaires à cette transformation dans les autos qu’on leur avait amenées et qu’ils s’étaient ainsi travestis en cours de route, ce qu’ils n’auraient pas pu faire en chemin de fer…
 
« Il faut vous dire encore qu’à Philippopoli, j’avais de nouveau essayé de télégraphier. Les fils, encore là, avaient été coupés. Ah ! ils prenaient bien leurs précautions !…
 
« Toutefois j’estimais que rien encore n’était perdu… car je continuais à « gagner » sur Gaulow…
 
« Arrivé à Zehtiman, c’est-à-dire à une cinquantaine de kilomètres de Sofia, je pouvais espérer arriver, sinon avant les bandits, du moins en même temps qu’eux à l’hôtel de la rue Moskowska. Ah ! monsieur, je vous prie de croire que je remerciais le ciel et que je bénissais l’incident de frontière qui m’avait livré cette vaillante petite voiture ! Nous en avions fait de la vitesse et dans un pays plutôt accidenté ! Les autres avaient peut-être encore dix minutes d’avance sur moi !
 
« À quelques kilomètres de la ville, un de mes pneus éclata.
 
« Je me précipitai sur un pneu de rechange, que j’avais aperçu à l’arrière.
 
« Ce pneu, que je croyais neuf, était crevé lui-même !
 
« Je tombai à genoux sur la route, en me mordant les poings de fureur !
 
« Je me disais que, pendant que j’étais là, impuissant, on m’assassinait ma chère Ivana !
 
« Je voulais me tuer ! Je devenais fou !
 
« Puis je repris mes sens, parce que je voulais user jusqu’à ma dernière chance !
 
« Qui me disait que les autres achèveraient leur voyage sans encombre ? Je pris la boîte à outils et me rafistolai un pneu en me servant de semelles de caoutchouc et en liant le tout avec des bouts de ficelle. Heureusement, j’avais une chambre à air, intacte. Après vingt minutes de ce travail, je pouvais à peu près rouler.
 
« Je revins ainsi à Ichtiman, retournant sur mes pas, sachant que je ne pouvais espérer trouver un pneu de rechange qu’en cet endroit. On m’indiqua un forgeron qui faisait métier d’en vendre et qui se chargeait de toutes réparations d’auto. Grâce à ce brave homme, je pus me remettre en route, définitivement. Mais, hélas ! que de temps perdu ! Et pendant que je volai vers Sofia, quelle angoisse atroce me serrait le cœur !
 
« Enfin je vis apparaître les maisons, les églises de Sofia ! Mais je n’avais pas rencontré les bandits. Que faisaient-ils en ces terribles minutes ? Je donnai toute ma vitesse et arrivai en trombe, mais trop tard, trop tard ! Ivana ! Ivana !… »
 
Rouletabille ne put s’empêcher d’observer que tout le désespoir d’Athanase Khetev s’adressait uniquement à Ivana, et oubliait complètement ce pauvre général-major.
 
« Vous l’aimez bien, votre cousine, monsieur Athanase ? »
 
M. Athanase hocha le front et leva une seconde – pas trop longtemps, à cause d’une embardée possible – les yeux au ciel.
 
« Je crois bien, monsieur, que je l’aime ! répondit-il de sa grosse voix rauque et pitoyable, n’est-elle pas ma fiancée ?
 
– Stop ! » hurla Rouletabille.